MUSIQUE ; T'aimes bien ça, être dehors.
Il est vingt-deux heures. Déjà, les campagnes de Draze sont endormies, silencieuses. Il a fait plutôt chaud, aujourd'hui ; à présent, la température est agréablement tiède, presque moite, un peu comme une étreinte qui n'en finirait plus - et tout aussi étouffant. Tu es vêtu de noir, comme à ton habitude, et ces nuances funèbres contrastent violemment avec ta peau trop pâle et tes cheveux si blonds qu'à la lueur de la lune ils paraissent presque blancs - vraiment, tu ressembles à ni plus ni moins qu'un spectre.
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et peut-être que c'est un peu ce que t'es juste un putain de fantôme un cadavre qui déambule dans son absence de vie peut-être t'en sais rien t'y penses pas vraiment.)
Tu as attrapé le premier train venu à ta sortie de la bibliothèque. Tu ne sais pas tellement ce qui t'y a poussé, ça t'arrive de temps à autres. Besoin de t'échapper de cette ville et de ces citoyens pitoyables et de cette existence médiocre et du regard un peu tordu que te lance ton beau-père quand tu rentres à la maison besoin de
t'enfuir - mais depuis ton altercation pour le moins mouvementée avec cet agent du FBI -
(
celui qui avait de jolis yeux et un sourire que t'aurais voulu savoir décrocher celui qui avait des cheveux d'enfant et pourtant des traits d'adulte.)
... Tu fais preuve de prudence. Pour l'instant, tu évites de t'approcher des murs à la nuit tombée, et de fait, tu ne tiens plus en place. Tu as la bougeotte, et les steppes de Dolph représentent l'unique prix de consolation dont tu peux te permettre de profiter. Tu marches un peu au hasard, le nez levé vers le ciel. T'as jamais été foutu de retenir le nom des constellations, du coup parfois, t'inventes les tiennes. Tu connectes les étoiles entre elles par des courbes imaginaires, dessines des visages, des formes, des rêves, et tu te sens presque vivant. Tu te dis que ça doit être bien, d'observer de là-haut. Hors d'atteinte de l'immuable vacuité du quotidien.
(
t'es de ces gens qui aiment bien penser que quand on crève c'est là-bas qu'on va même si c'est trop poétique et débile pour que t'oses expliquer ça à qui que ce soit.)
Tu erres, traînant des pieds dans l'herbe sauvage, envisageant vaguement de rester dormir sur les collines et de ne rentrer que demain matin. De toute façon tu as vingt-quatre ans et personne n'a le pouvoir de t'empêcher de découcher si ça te chante et -
Y'a un type devant toi. Même dans la pénombre, ses traits te sont familiers. Il s'appelle Walt. Non, Mott. Non, attendez, Malte. Oui,
Malte, c'est ça. Avec un nom de famille que t'es pas foutu de te rappeler et encore moins de prononcer. Ce mec, tu le connais tout juste et tu ne le fréquentes pas. C'est un hors-la-loi, c'est tout ce que t'as pris la peine de retenir sur son compte et tu te demandes si tu ne ferais pas mieux de rebrousser chemin immédiatement avant qu'il n'engage la conversation.
(
t'es un peu mal à l'aise en tête à tête avec un inconnu, t'en sais rien c'est peut-être un serial-killer et ici personne ne t'entendrait hurler.)
"Il est rare de te voir ici, Azür. Qu'est-ce qui t'amène ?"
Trop tard. Tu te figes, à quelques mètres de lui, ton regard bleu planté sur ton interlocuteur de fortune. Il s'intéresse à peine à toi, absorbé par ce qui semble être un télescope de voyage. L'espace d'une seconde t'as presque envie de te précipiter à ses côtés pour regarder à travers la lentille parce que t'as jamais fait ça et que t'en rêves depuis que t'es môme, mais t'es quasiment certain qu'au niveau de l'éthique c'est pas franchement le top alors tu t'abstiens et tu bouges pas, adoptant l'amorce d'une posture défensive.
"-
J'me balade, réponds-tu d'un ton peu amène, le menton redressé pour mieux le toiser.
Ils ont pas lésiné sur la surveillance des murs ces derniers jours alors... Bref. Et toi ?"
C'est une question un peu stupide vu que tu vois très bien ce qu'il fabrique ici, mais tu la poses quand même parce qu'il paraît que ça se fait et que tant qu'à sociabiliser autant le faire bien.
